L’hiver énergétique

Photo Etienne Lang

Qu’appelle-t-on hiver ?
Pour le calendrier, c’est la saison qui débute le 21 décembre. En météorologie, ce sont les trois mois froids de décembre, janvier et février. Pour ce qui est de la physiologie humaine, c’est la période des jours les plus courts centrée sur le solstice d’hiver.
En Médecine Traditionnelle Chinoise, l’année est répartie en « cinq saisons », mais en réalité la « cinquième saison » est constituée des quatre périodes intermédiaires qui permettent de passer d’une énergie à une autre. L’hiver commence donc au 15 novembre, est à son maximum au 21 décembre et s’achève au 27 janvier. Il est suivi par une intersaison de 18 jours qui peut le prolonger si le temps est froid et maussade ou au contraire préfigurer l’énergie d’un printemps précoce.

Dans le cycle annuel, l’hiver énergétique est une période de repos que l’on pourrait comparer au milieu de la nuit dans le cycle d’une journée. Cela est du notamment à la production importante de mélatonine, l’hormone du sommeil dont le taux augmente dès que le soleil se couche. La fatigue ressentie dès le début de soirée peut-être désagréable, pourtant elle n’a rien de pathologique, c’est une incitation naturelle à mettre tout l’organisme au repos, sur un mode de récupération. Nous devrions accepter de dormir plus et de remettre à plus tard tout ce qui n’est pas urgent.
L’état d’intériorisation, de nostalgie, voir de grande lassitude qui l’accompagne n’est pas plus anormal et nous ne devrions pas nous en inquiéter, mais au contraire en profiter pour faire une sorte de nettoyage émotionnel de fin d’année avant de nous projeter vers l’avenir.

La nature est bien faite, comme m’en témoignait un voisin et ami âgé, qui se souvenait avoir vécu dans sa jeunesse la rude vie des paysans de montagne : « le soir, on faisait la veillée, mais la lumière de la lampe à pétrole était bien faible, alors on allait se coucher tôt. On dormait énormément, tellement que mon oncle qui s’était écrasé un disque vertébral était resté allongé tout l’hiver, et s’était relevé tout neuf, tout guéri. En février on n’en pouvait plus de dormir, on répandait de la cendre sur la neige pour la faire fondre, on était en forme, impatients de se remettre au travail. Aujourd’hui, il y a la lumière électrique, la télévision, ces fêtes de Noël et de Nouvel An ou l’on mange trop, on s’agite pour des cadeaux, ou l’on fait des sport d’hiver. On sort de là épuisé au lieu d’être reposé, et évidement on tombe malade… »

Notre organisation sociale, notre mode de vie basé bien plus sur la continuité des services que sur le rythme des saisons ne nous permet plus de respecter ce rythme biologique. Néanmoins il nous est possible de limiter les dégâts provoqués sur notre organisme en suivant quelques règles simples : éviter les soirées qui trainent inutilement en longueur, et aller se coucher tôt. Anticiper les préparatifs des fêtes et vivre une période de Noël plus authentique, plus reposante. Et surtout, remettre à plus tard (c’est à dire au mois de février) tout ce qui peut l’être. L’énergie reviendra et ce qui mettrait des jours à se faire à contrecœur pourra se réaliser en quelques heures avec enthousiasme.

Le bénéfice d’une saison énergétique hivernale bien gérée est difficile à imaginer tant que l’on ne l’a pas vécu. Pourtant il peut être immense. J’en veux pour preuve ce témoignage d’un ami avec le quel nous étions sortis en raquette au mois de décembre. Il s’était agacé de me voir marcher lentement et refuser de monter jusqu’au sommet. J’avais argumenté sur la théorie de la médecine traditionnelle chinoise et le respect des rythmes naturels. Piqué au vif, il s’était pris au jeu. Quelques mois plus tard il me racontait : « c’est incroyable, au printemps, je me suis senti dans une forme olympique, et le plus fort c’est que ça dure. A simplement réduire mes entrainements pendant deux mois, c’est toute ma saison d’été qui y a gagné. Voilà dix ans que je ne m’étais pas senti autant en forme ! ».

J’ai recueilli également le témoignage d’une personne qui avait terriblement échoué à un concours crucial pour sa carrière, alors même qu’elle avait travaillé dur de décembre jusqu’à l’échéance du mois de mars. Je lui avais alors conseillé une stratégie audacieuse : pour la seule et unique session à laquelle elle pouvait se représenter, il lui faudrait… ne rien faire jusqu’à fin janvier. « Rien ? »
-Rien du tout, repos absolu.
-Sûr ? Mais le concours est le 10 mars !
-Absolument. Ensuite, de fin janvier à mi février, lecture, remise en mémoire de toutes les notions, sans forcer. Puis jusqu’au concours, cette fois bachotage intensif.
– ça me parait fou, mais je ne me sens pas capable de toute manière de revivre la même chose que l’hiver passé, à tenter d’étudier alors que toute mon âme et tout mon corps aspirait au repos.
J’avais reçu plusieurs coups de fils inquiets en décembre et en janvier, mais elle s’y était tenue. Le résultat avait dépassé ses espérances : sortie major du concours, elle avait été recrutée immédiatement pour un poste dont elle n’avait même pas osé rêver.

Plus tard, j’ai entendu une interview de Cyrille Neveu, le champion du monde de triathlon qui confirmait tout cela parfaitement. Il répondait à cette simple question du journaliste : accepteriez- vous de nous révéler quel est votre secret pour gagner ?
– Mais c’est un secret de polichinelle ! L’hiver, c’est à dire en novembre, décembre et janvier, plutôt que de m’entrainer, je me repose. 15 kilomètres par jour de ski de fond, c’est tout, pas de piscine non plus. En février, c’est vrai que je suis derrière les jeunes. Ensuite, je suis devant jusqu’en octobre !

En résumé, l’hiver est fait pour se reposer, recharger les batteries (ce que la médecine traditionnelle chinoise appelle « préserver et remonter l’énergie du Rein »), réparer l’organisme, évacuer le stress de l’année écoulée. Les semaines de janvier sont précieuses, elles doivent être consacrées à cela car dès que les jours s’allongent significativement au cours du mois de février, on repart dans un nouvel élan (ce qui est marqué traditionnellement par le nouvel an chinois).
Faites bon usage de ces derniers moments de repos.
Et passez une très bonne nouvelle année.

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